Mon ami le Guelou, grand spécialiste des comics, et surtout du dernier fils de Krypton, a sué corps et a^me pour vous proposer un méga dossier sur ce sujet. Si vous ne connaissez rien au mythe de Superman, vous allez tout savoir sur la génèse du héros jusqu’à la symbolique idéologique qu’il réprésente dans l’inconscient de la société américaine. Si vous pensez tout savoir ( inconscients que vous êtes !) vous allez aussi apprendre énormément de choses !!! Enjoy!!
SUPERMAN
Quand on pense aux comics on pense aux super-héros. Or quand on pense aux super-héros on pense nécessairement dans l’inconscient collectif, à Superman. Il s’agit là de la figure de proue du genre. Il y a eu d’autres héros avant lui, d’autres héros masqués mais Superman ne porte aucun masque et, bien que certains citent le Nyctalope du français Jean de La Hire, c’est bel et bien le premier super héros. Il en est l’archétype et le premier à en mériter le nom au sein d’une bande dessinée. Même « super-héros » est devenu une expression commune alors qu’il s’agit là d’une référence culturelle au premier super-héros dans la mesure où même le genre a été donné par son propre nom. Le terme « super » n’était pas utilisé pour décrire des personnages.
Le rêve humide de Friedrich Nietzsche. Et pourtant…
Il y a eu bien des variantes et de multiples révisions cependant l’histoire immuable de base est simple mais reste terriblement efficace.
Un enfant né sur une planète vouée à la destruction est envoyé par vaisseau spatial sur Terre où il développera de grands pouvoirs qu’il utilisera sous le nom de Superman pour le bien de l’humanité en tant que redresseur de torts mais aussi en arrêtant diverses catastrophes dont il prend essentiellement connaissance via son métier de journaliste de son identité publique : Clark Kent. Superman est affublé d’une combinaison bleue, d’une cape rouge et d’un « S » stylisé sur son torse. Il est doté d’une force surhumaine, d’une vitesse prodigieuse et d’une résistance hors du commun.
Voilà.
Tout le reste a été rajouté au fur et à mesure du temps.
Les parents adoptifs, le père biologique Jor-El, Krypton en tant que nom de la planète, la kryptonite, Smallville, le Daily Planet et le reste de ses pouvoirs… Tout.
Le logo formant un « S » stylisé de Superman est le deuxième symbole le plus reconnu au monde.
Superman » est entré dans la langue française. Selon Larousse :
1-nom masculin
(anglais Superman, nom d’un héros de bande dessinée)
2-Familier. Homme doté de pouvoirs extraordinaires.
Pour la plupart de nos concitoyens, ce symbole représente un personnage unidimensionnel portant son slip rouge par-dessus son collant défendant les valeurs d’une Amérique impérialiste et capitaliste avec tout l’enthousiasme niais qu’un boy-scout pourrait avoir. Aucune profondeur, aucune complexité, d’une puissance au-delà de l’imagination et une parfaite caricature d’américain.
« Ouais bof… Il est chiant. Je préfère Batman. C’est moins simpliste. » est une phrase que j’ai souvent entendue.
L’ignorance n’est pas censée être une excuse mais en tant qu’auteur de cet article je dois reconnaitre que la France connait moins les personnages DC que ceux de Marvel.
Tentons de rectifier le tir.
Il puise ses origines dans la grande dépression des années trente et fut créée aux Etats-Unis d’Amérique par Jerry Siegel et Joe Shuster qui l’ont conçu lorsqu’ils étaient encore au lycée. À ce moment là, il était un méchant chauve télépathe (double maléfique du Professeur Xavier ?) qui avait pour but la domination du monde. La première histoire fut publiée en 1933 et s’appelait « Reign of the Superman» (Le règne du Surhomme) et était une courte histoire dans Science-Fiction Weekly que les deux créateurs produisaient, comme son nom l’indique, chaque semaine. Le résultat sera recyclé en Ultra Humanite qui était une sorte d’ancêtre de Luthor. Un personnage chauve dont le génie scientifique et surtout la méchanceté transperçaient la page même du lecteur. Les deux créateurs ré imaginèrent le personnage en tant que héros cette même année et il perdit toute ressemblance avec son alter ego criminel. Ne gardant ainsi que le nom. Shuster le modèle entièrement sur Douglas Fairbanks quant à son alter ego de tous les jours il est visuellement un mélange entre Harold Lloyd et Shuster lui-même. Cependant une photo fut envoyée en 1930 à Siegel par un journaliste et fan de science-fiction du nom de Walter Dennis qui aurait été également une des bases visuelles. Le nom lui vient des acteurs Clark Gable et Kent Taylor.
Après de nombreuses tribulations nos auteurs réussirent à faire publier leur histoire par National Allied Publishing qui était devenu Detective Comics, Inc et chez qui ils avaient déjà placé Dr.Occult dans New Fun Comics en 1935. Leur éditeur Vin Sullivan leur demanda des pages contenant huit cases de tailles identiques par page mais Siegel et Shuster tentèrent une narration avec de plus grosses cases allant jusqu’à aussi peu que cinq cases par page. Ils refusèrent de ménager l’impact visuel de leur projet chéri. Siegel alla même jusqu’à décider ce que devait être la couverture, chose rare à accorder à l’un des scénaristes du magazine. Au bout de cinq ans d’efforts, ils y étaient arrivés : Action Comics 1 sortit en avril 1938 (malgré le fait d’être daté juin 1938, chose coutume pour les publications américaines d’époque) et Superman était en couverture. Deux cent mille exemplaires furent vendus. Atterré par les ventes du numéro 4 d’Action Comics, le directeur de publication se serait rendu à un kiosque et aurait demandé à un gamin lisant le fameux numéro et l’enfant lui aurait répondu « Parce qu’il ya Superman dedans, M’sieur ! ». Dans les mois qui suivirent, les ventes allaient passer à cinq cent mille chaque mois avant d’atteindre le million un an plus tard.
Lois Lane était le seul personnage classique à être présent dès le début. Elle servait d’acolyte et d’intérêt romantique simultanément. Notons qu’il s’agissait d’un des premiers personnages féminins qui était une vraie battante. Lois Lane est dans ses premières apparitions une journaliste d’investigation courageuse, belle, intelligente, têtue et agressive qui ne recule jamais devant le danger même si elle finit souvent dans de sales situations dont elle est sauvée par Superman. On doit son apparence à Joanne Carter qui servait de modèle pour les personnages dessinés par Joe Shuster et qui termina mariée à Jerry Siegel. Son nom, par contre, elle le doit à l’actrice Lola Lane. Sa personnalité était basée sur le personnage de serial Torchy Blaine et ses accomplissements sur la journaliste Nellie Bly.
Les héros d’aventures sont souvent inspirés de la mythologie gréco-romaine et se divisent en deux catégories :
-Ulysse qui utilise la ruse et toutes les armes qui sont à sa portée pour triompher de ses périls.
-Héraclès qui est un demi-dieu et qui détient la puissance pure pour arriver au même résultat que son compagnon d’armes.
Dans le contexte moderne de la bande dessinée américaine, Batman remplace Ulysse dans la mesure où il n’a aucun pouvoir surhumain et Héraclès se voit remplacé par Superman qui utilise les dons quasi divins dont il dispose pour faire régner la justice. On va même jusqu’à créer un talon d’Achille pour ce demi-dieu : la kryptonite, son seul talon d’Achille. Un caillou venu de sa planète qui peut littéralement lui être fatal puisqu’il s’agit en fait de fragments de météorites dont les radiations peuvent non seulement le destituer de ses pouvoirs mais le tuer suite à une exposition prolongée.
Si le personnage de Clark Kent a été élevé en tant que protestant, plus précisément méthodiste, son héritage culturel kryptonien le penche vers le Raoisme. Il s’agit là de l’adoration de Rao, dieu de la lumière et de la vie. Ce dernier serait la personnification du soleil rouge autour duquel la planète Krypton tournerait. Dans la vraie vie, il s‘agit de LHS-2520 situé à vingt sept années lumières. Je ne plaisante pas. C’est une véritable étoile. Vérifiez vous-même.
La texte sacré de cette religion est le Livre de Rao et il contient un panthéon de quatorze divinités principales, deux cent trois demi-dieux et plus de mille titans. Je n’invente rien. Vraiment.
Mais c’est les tendances des créateurs de notre homme d’acier qui eurent le plus d’influence sur l’essence du héros. La crise avait frappé de plein fouet les USA et les opinions politiques ainsi que les origines des deux jeunes hommes allaient forger la fibre morale du personnage. Le nourrisson extraterrestre avait été envoyé à bord d’un vaisseau à des parents adoptifs par ses parents biologiques pour le sauver d’une fin certaine, tout comme Moïse. De plus, le nom Kal-El ressemble phonétiquement aux mots hébreux « %u05E7%u05DC-%u05D0%u05DC » qui peuvent être interprétés comme « la voix de dieu » et Jor-El comme « la peur/admiration de dieu ». Superman n’est pas sans rappeler également un autre personnage biblique qui serait le sauveur de l’humanité et qui est arrivé des cieux parmi les mortels. Certaines scènes réussies du néanmoins soporifique Superman Returns de Bryan Singer abondent complètement en ce sens. Notons aussi le fait que Kent était au début du vingtième siècle une américanisation courante de « Cohen ».
Passons à l’idéologie de notre héros. Superman était le champion et protecteur des opprimés. Il se rebelle contre les injustices sociales en tant que Clark Kent ET Superman. Le journaliste n’hésitait pas à montrer du doigt les pouvoirs en place (officiels ou officieux) dans ses articles au Daily Star (oui, j’ai bien dit « Star », on y reviendra) et notre vengeur en collants intervenait physiquement si nécessaire. Que ce soit les riches propriétaires de mines se contrefichant des normes de sécurité de leurs employés, des hommes d’affaires tentant de profiter de l’image publique de Superman, le gouvernement lui-même lorsqu’il fournit des logements dont les normes sont vétustes, les usines militaro-industrielles, des politiciens corrompus, des automobilistes fuyant les lieux d’un accident ou encore les lobbyistes d’influence, rien n’était à l’abri du sens exacerbé de la justice de notre héros. Il va même jusqu’à battre à mort un voleur après que ce dernier lui ai tiré dessus ! Sa puissance n’avait rien à voir avec celle dont il fait preuve maintenant car il ne volait pas mais bondissait et sa force était moindre mais son attitude était plus agressive, plus engagée et plus préoccupée par des problèmes sociétaux que celle que nous avons connu par la suite.
Allant jusqu’à raser des immeubles pour que le gouvernement les reconstruise et s’adresser aux enfants de ces bas-fonds en leur lançant avant de partir « ce n’est pas de votre faute si vous êtes des délinquants, – c’est ce taudis- c’est les conditions dans lesquelles vous vivez » (Action Comics 8).
Le 16 janvier 1939 Siegel et Shuster vont au-delà du comic book, format magazine, et débutent le comic strip de Superman dans les journaux et en novembre 1939 une histoire parallèle sortait dans l’édition du dimanche. Ces histoires furent le théâtre de la première apparition de Mr. Mxyzptlk ainsi que la version chauve de Luthor qui jusque là était roux. Le strip fut distribué par la suite dans quatre vingt dix quotidiens et trois cents journaux du dimanche, atteignant ainsi un lectorat de vingt millions de lecteurs.
Mais la maison d’édition ne s’arrête pas là et devant le succès d’Action Comics et des strips , la compagnie crée un nouveau magazine : Superman. Le premier numéro se vendra à plus d’un million d’exemplaires dès sa sortie en avril 1939 (daté de juin 1939). Les origines du héros sont racontées à nouveau avec des détails supplémentaires, tout comme cela avait été le cas dans les strips quotidiens puis celles du dimanche et encore par la suite. Cette même année vit la naissance de New York World’s Fair Comics (quatre vingt seize pages et le prix délirant de quinze cents !) qui devînt en 1942 World’s Finest Comics dans lequel Superman apparaissait ainsi que Batman & Robin.
C’est d’ailleurs durant la New York World’s Fairque Ray Middleton devint le premier acteur à interpréter Superman. Même si c’était pour s’exhiber et non pas pour une quelconque projection.
Toujours en 1939 le héros à la cape a un ballon à son effigie à la parade de Thanksgiving de Macy’s.
Entre ça et le merchandising qui envahit les étalages américains, Superman est partout.
Partout ? Pas encore…
En octobre 1939 le personnage arrive en France dans les pages du numéro 21 de « Aventures » avec pour pseudonyme Yordi suite une « francisation » du nom par l’éditeur qui publiait déjà les aventures du Fantome. Il apparait quelques jours plus tard traduit dans les pages du neuvième numéro du Journal de Spirou sous le nom de « Marc, Hercule Moderne » car même le héros s’appelle Superman, son identité secrète de « Clark Kent » était trop exotique et il fut rebaptisé « Marc Costa ». La série connait un certain succès mais la guerre éclate et les planches originales n’arrivent pas jusqu’à Bruxelles suite à l’occupation allemande. Le rédacteur en chef de l’époque fait alors appel à Jijé (connu pour son travail sur les aventures du célèbre groom) pour improviser des nouvelles pages et des aventures inédites.
Il réapparaitra sous divers alias Atomic, le Surhomme, Il, Lui etc… chez divers éditeurs de l’hexagone et à un moment Clark Kent sera traduit par un autre nom, Dan Garet, (amusante décision puisque les fans de DC auront reconnu l’identité secrète du premier Blue Beetle). Pour couronner le tout certains éditeurs enlevaient (ou parfois remettaient après quelques numéros) le « S » symbolique de notre homme d’un autre monde.
Et il y eut même un plagiat de planches et du personnage nommé François l’imbattable.
Le 12 février 1940 marque la date clef d’un grand événement qu’est la diffusion du feuilleton radiophonique The Adventures of Superman sponsorisé par la compagnie Kellogg. L’importance de cette incarnation est capitale car elle rajouta à la mythologie de nombreux éléments considérés aujourd’hui comme incontournables.
-la phrase « Plus rapide qu’une balle ! Plus puissant qu’une locomotive ! Capable de bondir par-dessus un immeuble d’un seul bond ! Regardez là-haut ! C’est un oiseau ! C’est un avion ! C’est Superman !» reprise maintes fois
-Le Daily Star devint le Daily Planet
-George Taylor rédacteur en chef du journal fut remplacé par Perry White
-Première apparition de Jimmy Olsen
– Première apparition de la Kryptonite (même si Siegel et Shuster avaient conçus le K-metal dans une histoire non publiée en 1940)
– Première rencontre avec Batman et Robin
La série fit aussi une croisade pour la tolérance religieuse et ethnique qui atteignit son paroxysme en 1947 avec l’épisode sur le Clan de la Croix de Feu. Il s’agissait là d’un épisode opposant Superman contre le Ku Klux Klan. De véritables informations sur l’organisation (y compris des mots de passes, des codes et des détails de rituels) avaient été passées aux scénaristes et producteurs par Stetson Kennedy. Ce dernier était un activiste des droits de l’homme qui avait infiltré le Klan durant des années et, craignant que les informations ne voient jamais le jour du au fait que les membres avaient noyauté la police et le gouvernement, avait décidé de frapper d’un grand coup mais de façon inhabituelle. Il proposa alors une histoire où il changea le nom de l’organisation en Clan of the Fiery Cross qui faisait parfaitement l’affaire comme adversaires de Superman. Seize épisodes furent produits et diffusés. L’impact négatif fut immense pour le Ku Klux Klan qui s’opposa à la diffusion du reste des épisodes, boycotta Kellogg’s et dénonça la série. Trop tard. L’énorme succès des épisodes diminua la crédibilité de la société plus tellement secrète ainsi que son taux de recrutement. Kellogg’s s’afficha fièrement en tant que sponsor de la série et les producteurs se firent une joie d’ignorer les tentatives d’harcèlement de la part des sympathisants du groupe raciste. La banalisation du Klan avait eu lieu. Des journalistes en 2005 nommèrent cet événement comme « le plus gros impact médiatique pour affaiblir le Ku Klux Klan via une œuvre de fiction ».
Deux mille soixante huit épisodes de la série radio furent produits et certaines histoires furent recyclées en épisodes télés et parfois bandes dessinées.
Bud Collyer interpréta le rôle titre pendant dix ans pour la série ainsi que pour les dix sept courts métrages animés des frères Fleischer.
En 1941 Fleischer Studios, tenus par Max et Dave Fleischer, sous traite pour Paramount Pictures qui souhaite capitaliser sur le succès fulgurant de l’homme d’acier en faisant une adaptation animée destinée au cinéma. Hésitants de s’engager sur un projet titanesque et incertain, ils pensent décourager le géant hollywoodien en leur présentant un devis de cout de production excessivement élevé de cent milles dollars. À leur stupéfaction, Paramount accepte pour la somme de cinquante mille dollars. Certes la moitié de ce qu’ils faisaient semblant de demander mais réellement plus de deux fois le budget nécessaire pour la réalisation d’un épisode. Ils acceptent et produisent neufs courts métrages sous l’embleme de Fleischer Studios avant de recréer leur compagnie sous le nouveau nom de Famous Studios et de refaire huit autres épisodes. Bud Collyer fut rejoint par Joan Alexander qui interprétait déjà Lois Lane pour la radio. La première projection eut lieu le 26 septembre 1941 et fut nominé pour un Oscar cette même année.
Il faut souligner que c’est ces dessins animés auxquels on doit le fait que Superman vole. Effectivement « Capable de bondir par-dessus un immeuble d’un seul bond ! » était une directive mais le rendu fut jugé un peu trop « drôle » et les animateurs demandèrent donc l’autorisation de faire voler le kryptonien à DC qui leur donna l’autorisation. Le résultat avait plus de classe et diminuait le cout de production.
L’influence de ces petits bijoux continua de se sentir à travers de multiples œuvres d’animation Batman the Animated series de Bruce Timm et l’épisode « The Mechanical Monsters » fit école(Lupin III, Le Roi et l’Oiseau, Laputa Le Château dans le Ciel de Hayao Myazaki, Atlantis et autre Sky Captain and the World of Tomorrow) tandis que Dave Gibbons (Watchmen)
Et Steve Rude (Nexus) utilisèrent ce visuel très « rétro » pour une histoire contemporaine au début des années quatre vingt dix : la mini-série World’s Finest.