Je vais être magnanime pour cette chronique de décembre. L’esprit de Noël avant l’heure, peut-être. Ou alors je décide simplement de séparer l’oeuvre du sale type qu’est devenu le scénariste. Je me fais violence, ça fait du bien de temps à autres. Donc ! La mise en avant du mois est consacrée à la réédition chez Delcourt de « Hard Boiled » écrit par Frank Miller et dessiné par le foisonnant Geof Darrow. Avec de belles couleurs remasterisées et tout. Parce que même si j’ai épinglé il n’y a pas si longtemps ce cramé de Miller (voir ici), il faut bien lui reconnaître quelques éclairs de génie. Notamment sur ce titre.

Nixon est un collecteur des impôts d’un genre nouveau. Il a la particularité de toujours mettre la main sur sa cible. Quoiqu’il en coûte. Des dommages collatéraux ? Par dizaines, par centaines ? Et après ? Il est payé pour faire un job, il fait le job. Si Los Angeles doit être retournée, défoncée, annihilée pour ça, qu’il en soit ainsi. Après une course poursuite dantesque où la tôle a volé en miettes, où la chair a fini en bouillie, Nixon se voit emporté dans une ambulance et charcuté par une batterie de docteurs aux outils mécaniques étranges. Est-ce bien de la chair, des muscles et des os qu’il va falloir réparer ? Rien n’est moins sur.

Et ce pauvre Nixon qui pense être un mec normal avec une femme et deux enfants… Mais les scientifiques chargés de le reconstruire à chaque incartade se font du mouron. Nixon va vraiment finir par se rendre compte qu’un truc cloche, non ? Bah… On va le reformater, encore, on va lui attribuer un autre poste et un autre nom et roule ma poule. Imaginez un Terminator qui croirait mordicus à son humanité pleine et entière et à la sereine monotonie de sa vie de famille. Vous tenez la psychologie et les pouvoirs illimités de ce super-redresseur de tort manipulé par la société Willeford. Dans un univers cyber-punk où absolument tout par en vrille, on se demande si les qualités humaines sont encore réservées aux êtres humains ou s’ils ne s’en sont pas définitivement éloignés, fatigués d’eux mêmes et de leurs faiblesses.

« Hard Boiled » est un chef d’oeuvre. L’audace du graphisme de Darrow est totale. Les détails fourmillent, de grandes planches d’illustration rythment le récit. On tourne une page et on se prend à vouloir tout regarder pour ne passer à côté de rien. Tu joues à « Où est Charlie ? » version hardcore avec des boyaux qui volent et des partouzes géantes en pleine ville. Il y a du Philip K Dick là dedans, comprenez que c’est noir, sale, halluciné et perché bien haut. Tu refermes le livre et tu as encore l’impression de voir le monde à travers un kaléidoscope. Le gros trip en somme. Foncez chercher votre came en librairie, bande d’indécrottables accrocs aux comics ! Y en a de la bonne en rayon.